Un livre de Gierach publié, c'est comme si votre anniversaire arrivait avant l'heure ! C'est à coup sûr une bonne idée pleine de promesses. Les éditions Gallmeiter nous avaient déjà offert la traduction de deux ouvrages de Gierach qui ne sont pas passés inaperçus dans le petit monde de la pêche et de la littérature et du nature writing. Voici-donc le troisième avec Là-bas, les truites...
« Que la forêt et la rivière étaient vraies,
de plus en plus vraies à mesure que vous vous éloignez de votre maison »,
John Gierach, Là-bas, les truites...
En neuf récits, John Gierach évoque ses coins secrets, ses petits Eldorados de pêche dans lesquels les truites ne sont ni farouches ni petites. À cinq ans déjà, il s'enfonce avec ses copains dans la forêt, comme des Indiens précise-t-il, pour rejoindre la rivière dont on dit que plus loin en aval les poissons chats sont plus gros. Premier apprentissage de la nature et de la transgression des règles. Et pourtant, Nick Adam, le jeune héros d'Hemingway, si ce n'est Hemingway lui-même,dans Les forêts du Nord, fait ses premiers apprentissages de la nature près d'une rivière dans les bois, mais lui n'en menait pas large. À croire que pour pêcher, il faut oser partir loin, maîtriser la crainte qu'inspire l'inconnu, s'éloigner et délaisser les hommes (et les femmes aussi), les oublier, du moins ceux qui ne pêchent pas, pour se consacrer tout entier à la pêche. Un coin secret, ça vaut quand même sacrément le coup. Certain d'y être seul en tête à tête avec les truites, de quoi oublier le monde comme il est : « la nature était là ; elle était vaste ; elle était constante » écrit Gierach.
Le coin secret est un morceau de Paradis personnel, en dehors des cartes légendées et des lieux-dits, des courbes de niveaux et de la boussole. Hemingway (toujours et encore) s'en fabriquait en rêve « ... et j'imagine que j'y pêche et les confonds avec les ruisseaux que je connais réellement... » écrit-il dans Je vous salue Marie. Le coin secret est d'abord un coin rêvé puis pêché en vrai ensuite. Il est en dehors du temps, de l'échelle du temps rythmé par le chronomètre et les indices boursiers qui ne dorment jamais. Gierach insiste « Les pêcheurs, voyez-vous, n'ont que deux repères temporels : maintenant et jamais. », ce qui fait que le pêcheur est davantage connecté avec l'endroit où il pêche qu'avec le monde comme il va (son envers). Nick Lyons, autre célèbre écrivain-pêcheur nord-américain ( également auteur d'un The Gigantic book of fishing stories de 793 pages ) confesse qu'au fur et à mesure de sa partie de pêche il parvenait à entrer en concordance avec le tempo du poisson avec lequel il pêchait (dans Confessions of Fly Fishing Addict) ; il va même plus loin dans une saison de pêche à Spring Creek où, au bout de deux semaines de pêche, il perd progressivement la notion du temps et qu'au bout de quatre semaines seuls comptent la faim, la soif, la pluie ou le vent, des impressions élémentaires induites par le milieu et qui dictent une conduite propre au milieu.
« Là-bas les truites...
sont toutes grandes comme ta jambe. »,
John Gierach, Là-bas, les truites...
Les coins secrets rendent les pêcheurs... secrets : « cache ton pick-up pendant que tu pêches, et ferme-là ensuite. N'hésite pas à mentir si besoin, même si cela doit t'interdire de frimer » écrit Gierach. Évidemment, le type qui tient son petit Eldorado de pêche doit être un peu nerveux lorsqu'il sort du bois et c'est peut-être à cela qu'on le reconnaît, à moins qu'il soit étonnamment zen et on le reconnaîtra tout autant. Une attitude sociale que Gierach avait résumée dans un précédant ouvrage Trout bum (traduit en français par Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche, Editions Gallmeister, 2009), attitude qu'il précise ici comme étant celle d'un ermite vagabond autarcique, sans réel itinéraire, parlant peu et uniquement par phrases courtes. Un style de vie que l'on devine aisément. La pêche à la mouche serait alors une culture alternative faite d'addiction à une pratique et à un milieu, une sorte de rébellion face à une société de consommation dont le temps se mesure en unité de valeur et en prédation écologique. C'est ici que l'auteur est rattrapé par l'envers du décor. Les coins secrets deviennent plus rares, plus inaccessibles. Les températures augmentent, les précipitations sont modifiées par le réchauffement climatique. Angoissante problématique que Gierach n'évacue pas. Il en appelle plusieurs fois à Henry David Thoreau (toujours en encore), auteur américain du milieu du XIXe siècle qui revêt aux États-Unis une importance fondatrice pour sa vision esthétique et écologique de la nature, notamment dans Walden (publié il y a peu par les éditions Le mot et le reste et préfacé par Jim Harrison). Il passe un an en ermite dans une cabane au bord d'un lac perdu dans les bois. Sur le ton d'une méditation, Gierach continue Thoreau, car la pêche à la mouche est aussi une construction d'une éthique de l'environnement.
En ce sens, Là-bas, les truites... n'est pas seulement un livre jubilatoire sur la pêche, c'est aussi un plaidoyer politique pour l'environnement, pour la permanence de ses coins secrets, oasis écologiques, derniers reflets du Paradis perdu ou d'un âge d'or dont on garde, pour quelques temps encore, le souvenir. Thoreau (une dernière fois) l'évoque déjà en son temps avec nostalgie dans A week on the Concord and Merrimack rivers. Il aperçoit, en effet, au cours d'une descente en canoë un vieux pêcheur entrer dans une cabane à peine dissimulée par le feuillage des arbres, avec à la main quelques poissons : « Je crois que nul autre que moi ne le voyait ou ne se souvient de lui, car il mourut peu après... Pêcher pour lui n'était pas une sorte de sport ou juste un moyen de se nourrir. C'était plutôt un genre de couronnement majestueux, à l'écart du monde, à l'image des anciens lisant leur Bible. »
En dehors des cartes, en dehors du temps, ces Eldorados de la pêche, derniers reflets du Paradis perdu, oasis écologiques ou âge d'or presque révolu, les coins secrets révèlent notre présence au monde des eaux vives et des eaux dormantes. Avec ces 88 pages de douce nostalgie souvent souriante John Gierach sait être rêveur, alors rêvons avec lui !
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g0nefishin9,
Posté le vendredi 28 septembre 2012 04:22
En même temps, un coin secret, ce peut aussi être coincé entre l'autoroute et le pont de chemin de fer, près de la vieille écluse, où, malgré l'accumulation des déchets de la ville flottant en surface, on voit de belles carpes en maraude.
La nostalgie de l'âge d'or se transmet de génération en génération, aussi régulièrement -- heureusement -- que la faculté de l'enfance à s'émerveiller de ce qu'elle trouve.
Il faut être résolument moderne.
Rootfisher,
Posté le mardi 18 septembre 2012 04:58
fidèle à lui même.Merci Chamane
time-toto-lbs,
Posté le lundi 17 septembre 2012 00:47
Superbe comme a chaque fois merci l‘ami
mancarpe,
Posté le dimanche 16 septembre 2012 07:13
trés bel article merci pour l'info
romanocarp62,
Posté le samedi 15 septembre 2012 15:11
g0nefishin9, Posté le vendredi 28 septembre 2012 04:22
En même temps, un coin secret, ce peut aussi être coincé entre l'autoroute et le pont de chemin de fer, près de la vieille écluse, où, malgré l'accumulation des déchets de la ville flottant en surface, on voit de belles carpes en maraude.
La nostalgie de l'âge d'or se transmet de génération en génération, aussi régulièrement -- heureusement -- que la faculté de l'enfance à s'émerveiller de ce qu'elle trouve.
Il faut être résolument moderne.