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Pêche et littérature, "nature writing", livres de pêche.

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Un blog pour parler de pêche et de littérature. Pour contempler les rivières et les lacs, leurs poissons.

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Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir

Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourirPeter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir, Ed. Actes Sud, octobre 2015
 
 
 
Peter Heller est un écrivain américain, aventurier et touche à tout. Livreur de pizza, kayakiste ayant descendu les plus grandes rivières du globe, marin et reporter pour le compte du National Geographic Adventure sur le Sea shepherd pour défendre les baleines, garde pêche et pêcheur à la mouche. Il a fait une entrée remarquée dans la littérature nord-américaine avec un premier roman post apocalyptique, La constellation du Chien. Son second livre n'en est pas moins remarquable.Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
 
«  Laisser à la liberté une chance de se frayer un passage entre les mailles de l'inexorable »,

Denis Duclos, Le complexe du Loup-Garou,
la fascination de la violence dans la culture américaine.
 
Heller écrit avec un style percutant, presque rude dans sa forme pour aller chercher l'essentiel des sentiments sans détour ni fioriture. Ses mots sentent le tabac à chiquer, le sang séché, la poussière, l'humidité d'une cascade, la peinture fraîche, la mousse des rivières ou l'odeur acre d'une truite vidée d'un coup de canif. Un style âpre et brusque à rapprocher de celui d'Hemingway dans Les Aventures de Nick Adams. Le style de Heller vous attrape, comme le début d'une bagarre à l'ancienne quand un type vous choppe par le col, puis l'auteur mêle poésie, contemplation, sensualité par une série de tensions entre les circonstances et le caractère de son héros. Heller dépeint Jim Stegner, c'est un homme méchamment blessé par la vie, plein de remords terribles pour ne pas avoir suffisamment entendu les appels au secours de sa fille Alce. Alce était son unique amour après deux divorces. Alce était son recours, sa résilience, sa bouée. C'est à elle qu'il a donné les premiers rudiments de la pêche à la mouche, à qui il a fait goûter les aurores ou les coups du soir au bord de l'eau, contempler les constellations lorsqu'ils étaient couchés sur la grève d'une rivière. Alce finira par pêcher bien mieux que son père et finalement bien mieux que tout le monde. Mais il ne l'a pas entendue, il n'a pas su l'entendre. Amoureuse éperdue d'un petit dealer, elle sera massacrée par des salauds. Jim Stegner porte cette blessure au plus profond de lui. Il tente de survivre grâce à la peinture, à la pêche, à l'amour parfois. Il ne peut oublier, son caractère est violent et n'est que le reflet de son âme, tueur occasionnel, inattendu. Le combat physique dans un ravin boueux, sur les rochers d'une rivière à coup de poings, de pierre, ou de calibre 41, est porté par l'intensité de l'écriture. La violence devient l'expérience de la vie elle-même, sa vie est catastrophée comme le cours des rivières. Mais ce parcours accidenté et désastreux ne dissimule pas la force de l'introspection et de l'analyse. C'est la force de ce roman. Jim Stegner tue quand il est au bord de l'eau, quand il est à la pêche pour oublier au milieu d'un paysage virginal. Serial fisher et serial Killer ne font qu'un.
 
Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
Drawings By Gavin Erwin
http://www.fishthesea.co.za/gallery/fishartforsale.htm
 
 
« Adam pêchait-il ? Nous demanda t-il. Des exemples de lancer à la mouche au paradis ? Non, la pêche est l'apanage du monde corrompu, imparfait. Au Paradis on y renonce. »,

Wallace Stegner, Lettres pour le monde sauvage, Ed. Gallmeister, 2015
 
Wallace Stegner est lui un écrivain très nature writing dont l'un des livres a été traduit aux éditions Gallmeister. Je crois peu au hasard, notamment à celui de l'homonymie avec le héros de Heller, Jim Stegner. La concordance des publications françaises ne fait pas une référence assumée, pourtant, ils ont tous deux la même conscience que le paysage américain résume, malgré sa beauté, une grande part de tragique. Le wilderness, la nature sauvage, virginale, le Paradis du premier jour, immaculé, est maintenant un espace rêvé, interprété, regretté. Il n'a plus la valeur hypnotique que peut lui donner le sublime, ce n'est plus un paysage dans lequel le moi peut se perdre, être submergé, se dissoudre. Déjà chez Hemingway dans Sur l'écriture (1924), manuscrit adjoint à sa magnifique nouvelle La grande rivière au c½ur double, le paysage scénique de la rivière est un lieu où l'âme humaine peut encore se perdre mais ne retrouvera pas la plénitude de sa conscience, le repos et la rémission. Le paysage de la rivière que ce soit en plongée ou en contre-plongée est plus rêvé et parcouru que contemplé. Nick Adams le héros d'Hemingway est certes « marié à la pêche », il descend dans la rivière en se demandant comment le peintre Cézanne l'aurait interprété. Il s'agenouille dans l'eau, fouille dans son sac pour libérer une truite et la regarder se faufiler entre les pierres. Dans Le dernier beau coin du pays écrit plus tard, la truite est assommée puis vidée dans une sorte de mise à mort tauromachique et jouissive. La rivière n'est plus que rêvée, elle l'est magistralement dans Maintenant je me couche où Hemingway invente des rivières pendant ses nuits d'insomnie, il croit même y avoir pêché en vrai, il leur donne un nom. La rivière est le lieu de l'oubli de soi, « Toutefois, je finis par revenir à la pêche, après avoir réalisé que je me souvenais avec précision de toutes les rivières et que j'y trouvais toujours quelques chose de neuf, tandis que les jeunes filles s'estompaient invariablement dans mon esprit ». Un lieu de rédemption immanquablement lié à la nature de l'homme moderne qui cherche à oublier, à se faire pardonner ses fautes, ses crimes. Ce n'est plus le lieu de la résilience, les eaux de la rivière ne sont plus les eaux lustrales et celles du baptême, de la renaissance comme dans La grande rivière au c½ur double. Et, c'est encore plus vrai avec Peter Heller, la rivière à truite est toujours adossée à une route par les deux bouts, elle mène à la ville et à sa corruption, cheminement parallèle et chaotique renvoyant à des possibles tragiques. Entre la route et la rivière, Jim Stegner y installe souvent son chevalet (tandis que la canne à mouche est posée sur la carrosserie du pick up autre parallèle saisissant) avec un colt calibre 41 coincé dans une ouverture sensée accueillir un bocal, prêt à faire feu au cas où. La rivière est maintenant le lieu du crime, la scène du crime elle-même, en l'espace d'une fulgurante violence, on passe de l'american dream à l'american drama.
 
Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
Drawings By Gavin Erwin
http://www.fishthesea.co.za/gallery/fishartforsale.htm









J'ai dit : «  Je suis en état d'arrestation ? »
Non !
« Je peux aller à la pêche, alors ? »,

Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir.
 
La peinture n'aide pas Jim Stegner à surmonter la disparition d'Alce, elle le ramène trop vers la sociabilité du monde urbain, les galeries d'art, son agent, ses clients, l'argent. L'art ne l'aide pas : « ... que ma fille est morte pour rien. Que je ferais mieux d'aller pêcher avant que mon cerveau ne parte en vrille ». Seule la pêche peut l'aider parce qu'elle lui rappelle ses parties de pêche avec Alce, la communion des jours heureux, des bonheurs partagés, de la joie simple et sincère d'être ensemble et de se regarder, de se trouver beau au milieu de l'eau, une canne à la main. Cela existe, vous le savez, vous qui pêchez, vous êtes initié et vous l'avez déjà éprouvé, je n'en doute pas. Jim va à la pêche comme on va chez son thérapeute. Il invente des mouches comme la Stegner killer (prémonitoire ?) ou en fabrique de plus classiques comme la Royal coachman, des mouches sèches ou noyées selon la nécessité, même s'il ne dédaigne pas envoyer un petit streamer comme un wooly bugger ondoyer dans les courants. Il pêche aussi avec des nymphes comme la classique pheasant tail ou la bead head prince ou encore une Copper John. C'est un pêcheur à la mouche éclectique et donc accompli, qui pêche avec du matériel de prix selon la vente de ses tableaux. Certains s'anéantissent dans l'alcool, lui va à la pêche, c'est l'unique moment où il peut oublier l'absence de sa fille, s'oublier lui-même, oublier le temps : « Le temps passé, le temps présent. Quelque soit le temps qui régule la terre, il avait reculé dans les ombres de la nuit. J'ai lancé, lancé encore.... » Le mouvement de métronome de la canne semble figer le temps puis ouvrir une faille dans laquelle il peut se lover, comme dans une parenthèse le protégeant momentanément de son destin tragique et de sa cohorte de malheurs et de crimes. L'amour avec Sophia (la sagesse de la Grèce antique ? Une anti Stegner killer ?) l'apaise presque tout autant que la pêche : « Elle m'a fait l'amour encore et encore jusqu'à j'ai mal et que je halète comme une truite hors de l'eau, puis elle me tenait dans ses bras, là aussi comme une truite, pour que je reprenne mon souffle, et ensuite elle me laissait m'endormir » abolissant tout sentiment de peine et de remords, amnistiant le criminel, une « graciation » comme acte d'amour. On peut bien pratiquer le catch and release avec un pêcheur à la mouche.
 
Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir
Drawings By Gavin Erwin
http://www.fishthesea.co.za/gallery/fishartforsale.htm
 









La pression froide sous la mâchoire. L'acier.
Avant même de me poser la question j'ai su que c'était un revolver.
« Bon choix la nymphe. J'aurais fait la même chose, je crois »,

Peter Heller, Peindre, pêcher et laisser mourir.
 
Jim Stegner semble tout bousiller dans sa vie, sauf ses parties de pêche, quoi que... C'est encore dans la rivière et à la pêche que le drame de sa vie va trouver une résolution durable. A genoux dans l'eau, piégé, le canon d'une arme sur la face, les waders se remplissent d'eau glacée, il perd sa canne, une Sage à 5 brins avec laquelle il a appris sa fille à pêcher, il pleure, il sait la fin de la partie toute proche, les souvenirs disparaîtront ainsi que l'odeur du café du matin, la chaleur de Sophia, le grain de sa peau, le parfum des rivières, les reflets de la lune dans l'eau, et, j'imagine, le sourire d'Alce lorsqu'elle se retournait en regardant son père pour lui montrer sa canne plier par le combat d'une belle truite, la sensation vivifiante de la touche, et toutes sortes d'émotions intenses et fugaces que l'on éprouve à la pêche ou en amour et qui mises bout à bout font des souvenirs solides pour les jours de tempête. Jim va y passer, peut-être... « J'ai imaginé te couper les mains. Ce qui rendrait la peinture et la pêche un peu plus difficile. Mais, bon ça t'empêcherait pas de baiser. Du coup, je pourrais te couper la bite, aussi. Je pourrais. Aussi simple que d'ouvrir une truite. »
 
Chamane 51, le 11/10/2016
 
 
Pêche et littérature, nature writing, livres de pêche.
Jean-Marie Rouffaneau, Histoires de pêche, Rabouin
Chamane51, Le Guide (souvenirs des Hébrides)
Numa Marengo, La pêche et Platon
Philippe Cortay, Les murmures du Versant
Serge Sautreau, Après-vous mon cher Goetz
Maurice Constantin-Weyer, La chasse au brochet
Denis Rigal, Eloge de la truite
Jean Rodier, En remontant les ruisseaux
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Henri Bosco, Malicroix
Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, La-bas les truites...
Jacques-Etienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche . . .
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands
Pierre Clostermann, Mémoire au bout d'un fil
Pierre Clostermann, Spartacus, l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur
Henry D. Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Maurice Toesca, Rêveries d'un pêcheur solitaire.
Cormark McCarthy, La route
William G.Tapply, Casco Bay, Dark Tiger
Histoire d'ombres, Hervé Jaouen
Les pieds dans l'eau, René Fallet
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été
Les Ardennes à fleur d'eau, Terres ardennaises
La mouche et le Tao, Philippe Nicolas
Brève histoire de pêche à la mouche de Paulus Hochgatterer
Un bon jour pour mourir de Jim Harrison
La femme truite de Vincent Lalu
La grande rivière au coeur double, Ernest Hemingway
L'enfant et la rivière d'Henri Bosco
L'enchantement de la rivière de Philippe Nicolas
Le Traité du zen et de l'art de la pêche à la mouche de John Gierach
Partie de pêche au Yemen de Paul Torday
Le Testament d'un pêcheur à la mouche de John D. Voelker
Tags : Peter Heller, Wallace Stegner, Hemingway, Nature writing, Wilderness, Truite, Nymphe, Mouche, streamer, Pêche à la mouche, Cézanne
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#Posté le vendredi 11 novembre 2016 03:39

Modifié le dimanche 28 janvier 2018 16:51

Numa Marengo, La pêche et Platon

Numa Marengo, La pêche et PlatonNuma Marengo, La pêche et Platon, Eboo éditions, 2013
 
 
Le livre de Numa Marengo n'est pas à proprement parler un livre de pêche, il n'est pas, non plus, un livre de philosophie. Pourtant, je l'ai lu d'une traite ou presque. Sous une forme dialoguée, le style est alerte et le vocabulaire choisi. Passée l'introduction qui sonne comme une Apologie de Socrate façon Xénophon, on trouve la thèse centrale du livre : les pêcheurs prédateurs disparaissent pour diverses raisons, laissant place aux pêcheurs consuméristes, technicistes. Le pêcheur contemporain, c'est-à-dire moderne, est un pêcheur aux leurres. La technique employée fait l'identité et écrase la pêche générique, multi-espèce telle qu'on pouvait la lire dans les encyclopédies de la pêche, jadis. Le pêcheur est urbain, sa sociabilité mise en réseau, halieutiquement centré et égocentré. La pêche de tradition et socialement populaire se voit dépassée par une pêche de classe moyenne, de plus en plus spécialisée qui met en place une éthique, celle du catch and release, du no kill qui viennent s'ajouter parfois à des considérations environnementales et écologiques. Il y aurait donc, selon les techniques pratiquées en fonction des poissons recherchés, des considérations, des différenciations socio-identitaires. Par dessus tout, la pêche aux leurres, en raison de ses derniers progrès, serait la mesure de toute chose (pour paraphraser le Protagoras de Platon) en matière de pêche qui ne serait plus sous la plume de l'auteur « loisir » mais un « marché ».
 
« ... oublieux de la pêche à trousse-culotte ou à la grattée
la volante et la surprise qu'il enseignait autrefois
mouches et leurres le firent jusqu'à l'ongle empoté ... »,
Numa Marengo, Triages, Revue littéraire et artistique n° 15, 2003
Numa Marengo, La pêche et Platonhttp://becca-schlaff.com/blog/
 
Plus remarquable est l'aversion que porte l'auteur à la pêche à la mouche. Celle-ci est ringardisée et ses pratiquants relégués au siècle dernier et même au-delà. Une aversion si profonde, si méchante même, qu'elle interroge le lecteur. La critique est facile et semble tout à fait caricaturale. Que reproche-t-il à ses frères « pécheurs » ? Le goût pour les matériaux nobles, le dédain de la technologie, la valorisation de l'artisanat, une gestuelle paroxystique, un savoir patricien puisqu'il est censé passer tout entier par l'entomologie. Il faudrait, selon lui, repenser la mouche en passant par le leurre, passer de l'imitation au leurre. On se demande si Numa Marengo par ses critiques en rafales ne dessine pas sa propre allégorie de la caverne telle qu'on peut la lire dans La République de Platon. Imaginez une caverne longue et sombre dans laquelle des hommes enchaînés voient devant eux des ombres portées monstrueuses, extravagantes (en fait les ombres d'hommes portant des objets divers ou des animaux, mais invisibles aux yeux des enchaînés) qui dansent, fantastiques et stupéfiantes, sur la paroi. Pour les hommes enchaînés, le monde sensible fait la réalité. Pour autant il n'est pas encore vérité. La pêche à la Mouche (la majuscule est à peine une provocation...) n'est pas cette caricature dessinée. L'amour des matériaux nobles ? Il suffit d'ouvrir les catalogues pour se persuader du contraire, les cannes ne sont plus en bambou refendu et les soies ne sont plus naturelles depuis longtemps, il n'y a donc pas de dédain de la technologie. Quant à la valorisation de l'artisanat, qu'y a-t-il de dégradant, d'amoindrissant dans l'amour du travail, du bel ouvrage quand c'est pour son plaisir ? Les amateurs qui façonnent, avec style, leurs propres leurres en bois dans la veine Garage craft, dont la revue Predators avait vanté le génie créateur, ne seraient-il pas de nouveaux artisans ? Ne sont-ils pas plus proches du pêcheur à la mouche devant son étau ? La gestuelle paroxystique, je ne la vois pas très bien non plus, la majeure partie des lancers se faisant entre 10 et 15 mètres, le pêcheur en nymphe au fil pêche entre 3 à 5 mètres sans faux-lancer. Peut-être les images bien léchées du film Et au milieu coule une rivière de Robert Redford peuvent jeter quelques stéréotypes et quand bien même, ils ne sont pas si laids. Enfin, le savoir, une certaine connaissance entomologiste qui serait patricienne selon l'auteur, n'a pas besoin de dépasser les programmes de sciences naturelles de collège ou de lycée. Ce savoir n'est donc pas si patricien que cela, et s'il l'était, il s'est drôlement démocratisé. Le pêcheur à la mouche n'est pas ce « bourgeois » qui n'aurait pas fait « son Oedipe », ni « sa révolution industrielle » pour reprendre, encore une fois, les expressions de l'auteur : non ! Ce n'est pas cette vilaine caricature. Tout simplement parce que le pêcheur à la mouche est un pêcheur comme les autres.

Et, si je devais prendre le point de vue de Numa Marengo, je dirais même que c'est un pêcheur aux leurres comme les autres. La mouche est un leurre qui ne cherche pas à tout prix l'imitation exacte d'une nymphe, d'un insecte aquatique, terrestre ou de leurs différentes métamorphoses. Il y a, le plus souvent, des mouches d'ensemble, des mouches qui ne ressemblent à rien et par conséquent peuvent faire croire qu'elles ressemblent à tout. Pensez à la Peute d'Henri Bresson par exemple, aux mouches noyées, à celles des lochs écossés, aux streamers que les Anglais appellent « lures » (voir le dernier Trout fisherman et l'article « Catch more with lures »). Les mouches obéissent à des codes de couleurs, des silhouettes, des stimulis qui appartiennent aux leurres. En somme, la mouche et le leurre sont tous les deux artefact.  Ils sont aussi tous les deux à l'interface des mondes humain et animal, visible et invisible et impliquent une éthologie particulière de la part du sujet leurrant (le pêcheur), dont tous les modes cognitifs sont tendus vers le sujet leurré (le poisson) par la grâce de l'artefact. La mouche et le leurre, que je distingue encore, impliquent tous les deux d'établir les caractéristiques perceptives de l'animal dans son milieu et dans un temps donné. Et, à la lecture de Numa Marengo, j'ajouterai, pour rire, une quatrième catégorie au trinome sujet leurrant-leurre-leurré, celle du sujet leurrant-leurré ! C'est-à-dire celle du « pêcheur leurré » (abusé) par les appâts publicitaires et commerciaux des grandes marques de leurres ! Finalement, mouche ou leurre, pas de réelle distinction. Ce sont tous les deux des leurres, et il faudrait alors, ne plus les concevoir comme des imitations mais comme des métaphores !

S'interroger sur la nature de la pêche revient à entamer une longue discussion sophistique où l'argument de Protagoras-Marengo s'échoue sur la dialectique platonicienne. Le leurre n'est pas la mesure de toute chose, mais le Leurre, lui, l'est ! de telle sorte que la pêche est ce moment singulier pendant lequel, grâce à un artefact, tous les efforts cognitifs du pêcheur glissent avec détermination vers le poisson, cherchent à pénétrer son monde, à jouer avec ses codes et à les faire siens. Une sorte d'ichthyanthropie, si l'on veut pousser le bouchon un peu loin vers une dimension onirique. Pour cette raison, il convient de ne pas repousser la littérature.
 
« ... le cou en émerillon et le drôle d'air narquois
qu'ont les Ôtreuh devant ce pléonasme ignare
du poisson-nageur rapala qui lui donnait la foi... »,
Numa Marengo, Triages, Revue littéraire et artistique, n° 15, 2003
Numa Marengo, La pêche et Platonhttp://becca-schlaff.com/blog/
 
Numa Marengo remarque, à juste raison, que ce versant de la pêche est bien plus développé aux Etats-Unis ; il cite Jack London, Hemingway pour l'importance de la nature dans leurs ½uvres (je passerais davantage par H. D. Thoreau pour établir une étape fondatrice du Nature Writing qui connaît en France un regain d'intérêt avec les éditions Gallmeister). L'Europe n'a pas développé un tel courant littéraire, c'est vrai. Mais en France, de grands écrivains ont consacré des pages magnifiques à notre activité, M. Genevoix, H. Bosco, plus proches de nous, ou R. Fallet, H. Jaouen, S. Sautreau, J. Rodier et bien d'autres. Le Royaume-Uni a développé un vrai courant littéraire sur ce sujet, qui faute de traducteurs reste assez ignoré (on peut pour s'en persuader consulter le catalogue de Coch-y-Bonddu books, 23 pages de bibliographie consacrée à toutes les pêches). La littérature halieutique, celle des écrivains-pêcheurs (la liste serait deux à trois fois plus longue s'il fallait évoquer les pêcheurs-écrivains souvent doués pour la plume comme P. Closterman, M. Constantin-Weyer, J. Favard ou encore un D. Taboury), n'est donc pas de l'ordre du symbolique. Mais, ces livres si passionnants n'ont jamais fait l'objet d'un travail éditorial qui pourrait créer un véritable corpus homogène, facile d'accès et populaire.

Il y a dans les rayons de nos bibliothèques de véritables trésors pour qui veut bien les chercher. Ils dessinent une mythologie riche, foisonnante, souvent merveilleuse de la pêche. Je pense qu'il est vital pour notre activité de « mythologiser » avec tous ces auteurs. Car, la mythologie va bien au-delà des croyances, des fables, de « l'inconscient du pêcheur » selon la définition de Numa Marengo. Le mythe, c'est la parole donnée comme transcendance, ce que la rationalité du logos ne peut dire car la dimension poétique, lyrique, sublime, toute cette puissance de l'imagination lui échappe. Cette littérature - ou mythologie - est tout aussi nécessaire au pêcheur car elle nourrit ses rêveries, nourrit son âme, là-bas, au-delà. Ce qui fait que la pêche est bien plus qu'un marché ou un loisir, qu'une rivière est bien plus qu'un cours d'eau, une truite bien plus qu'un poisson, et qu'un pêcheur est bien plus qu'un homme au bord de l'eau.

Avec Platon, la mythologie nous fait cheminer vers la vérité. Avec Numa Marengo, en accord avec lui cette fois, lorsqu'il poétise la pêche à la fin de son livre, il mythologise à sa manière, et de belle façon. Point de contradiction donc entre mythe, discours et pratique, car la pêche est bien plus que la pêche !

Chamane51 le 06/03/2015

Pêche et littérature, nature writing, livres de pêche.

Philippe Cortay, Les murmures du Versant
Serge Sautreau, Après-vous mon cher Goetz
Maurice Constantin-Weyer, La chasse au brochet
Denis Rigal, Eloge de la truite
Jean Rodier, En remontant les ruisseaux
Joan Miquel Touron, La belle histoire de la pêche à la mouche
Henri Bosco, Malicroix
Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840)
Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, La-bas les truites...
Jacques-Etienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche . . .
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands
Pierre Clostermann, Mémoire au bout d'un fil
Pierre Clostermann, Spartacus, l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur
Henry D. Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Maurice Toesca, Rêveries d'un pêcheur solitaire.
Cormark McCarthy, La route
William G.Tapply, Casco Bay, Dark Tiger
Histoire d'ombres, Hervé Jaouen
Les pieds dans l'eau, René Fallet
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été
Les Ardennes à fleur d'eau, Terres ardennaises
La mouche et le Tao, Philippe Nicolas
Brève histoire de pêche à la mouche de Paulus Hochgatterer
Un bon jour pour mourir de Jim Harrison
La femme truite de Vincent Lalu
La grande rivière au coeur double, Ernest Hemingway
L'enfant et la rivière d'Henri Bosco
L'enchantement de la rivière de Philippe Nicolas
Le Traité du zen et de l'art de la pêche à la mouche de John Gierach
Partie de pêche au Yemen de Paul Torday
Le Testament d'un pêcheur à la mouche de John D. Voelker

 
Tags : catch and release, No kill, Platon, Protagoras, garage craft, Predators, Robert Redford, Henri Bresson, artefact, Leurre, Nature writing, Numa Marengo, Mythe
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#Posté le vendredi 06 mars 2015 05:17

Modifié le vendredi 06 mars 2015 14:12

Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840), Ed. Finitude, 2012.


Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840), Ed. Finitude, 2012.
Henry David Thoreau, Journal (Vol. 1)


Thoreau a vingt ans, nous sommes en 1837, il est sur les bords du lac de Walden et il entreprend la rédaction d'une ½uvre inédite qui marquera le début d'une longue tradition d'écrivains de nature (nature writing). Au cours de ses promenades et de ses observations il prend des notes sur des feuilles volantes, dans des carnets. Ebauche, croquis, annotations, mise en forme progressive de la pensée, ces notes, souvent poétiques et naturalistes sont maintenant éditées par les Editions Finitudes, il s'agit du premier volume de quinze autres à venir, un par an.
 
« Moi qui chantais jadis le bienheureux jardin
Perdu par la désobéissance d'un seul, je chante maintenant
Le Paradis recouvré pour tous les humains... »,
John Milton, Le Paradis reconquis (l.I,v. 1-3).
 
Thoreau est donc au bord du lac, il habite une cabane de rondins. Il observe le lac, la forêt, la faune, leurs changements et leurs interactions tout au long des saisons. Le lac devient naturellement l'un des sujets majeurs des réflexions de Thoreau, on l'a déjà vu dans ce blog avec un premier texte consacré à Walden. Au moment où tout l'Ouest américain voit un changement irrémédiable se produire, celui de la découverte et de la conquête d'un espace et de sa faune par des forces violentes et destructrices déguisées en modernité et en civilisation, Thoreau reste l'homme d'un lieu, d'un endroit et non de l'immensité et du Wilderness (étendue sauvage, espace vierge). Pour autant, c'est par le lac que Thoreau dépasse l'horizon proche, fait fondre la frontière et dissoudre les limites. Le wilderness de Thoreau à la taille de Walden. Le lac est un monde, un univers changeant, divers, étonnant et constamment renouvelé et il a ses pêcheurs : « Je suis aussi ému et transporté en regardant les pêcheurs au bord de Walden Pond en hiver, que lorsque je lis les exploits d'Alexandre à travers l'histoire. Leurs actes sont étroitement liés. Les circonstances et le décor sont à ce point similaires que ce qui les différencie n'a pas d'importance » (20 décembre 1840). Le lac devient un universel géographique transformé en totalité du monde, une nouvelle mare nostrum mais il est aussi par la présence des pêcheurs associés à Alexandre le Grand, une parabole dont le sens semble dire que la nature du lieu détermine une force, une énergie, à une communauté humaine qui forme un écosystème placé dans la durée. Thoreau est maintenant loin des lectures du The Angler's Souvenir de William Andrew Chatto paru en 1835 en Angleterre, une somme de souvenirs bucoliques sur la pêche.

L'esprit des pionniers peut se satisfaire de Walden Pond, si petit soit-il, il recèle un monde universel durable et une grandeur d'âme.
 Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840), Ed. Finitude, 2012.

« Et le jardin d'Eden dressé dans l'étendue sauvage
O Esprit qui menas ce glorieux ermite
Dans le désert où il emporta la victoire... »,
John Milton, Le Paradis reconquis (l.I,v. 7-9).
 
Les pêcheurs de Walden sont donc des héros et dans ce cas les poissons avec lesquels ils ferraillent n'en sont pas moins héroïques. Thoreau aime les observer attentivement avec la ferveur du poète et la minutie du naturaliste. Le 14 février 1840, il note dans son carnet : «Un receuil d'histoire naturelle des plus succinct suffit à faire de moi un enfant. Lire simplement leur classification me fait aimer les poissons. J'aimerais même connaître le nombre de nervures de leurs nageoires et savoir combien d'écailles portent leurs flancs. . . Ou encore je somnole en compagnie du brochet majestueux sous les feuilles de nénuphar de notre rivière, entre les nefs et les allées sinueuses créées par leurs tiges. » La considération naturaliste le fait plonger dans une rêverie apaisée et presque mélancolique, il gagne les profondeurs aquatiques, change de dimension, abolit le haut et le bas, l'au-delà et l'en-deçà. Thoreau réédite la métaphore le 26 décembre en observant des brochetons immobiles entre deux eaux, maintenant leur équilibre par des petits coups de nageoire aux allures d'éventail. Un autre naturaliste John James Audubon d'origine française (comme Thoreau d'ailleurs) qui fut l'un des plus fameux ornithologues des Etats-Unis mais de la génération précédente, avait déjà avancé l'idée. Thoreau indique dans Natural History of Massachusetts qu'il connaît et apprécie les travaux d'Audubon. Ces deux hommes n'ont pas cessé, chacun à leur manière, de parcourir les fleuves, les rivières et les lacs de l'Est des Etat-Unis. Ils ont ce point en commun d'avoir voué une partie de leur vie, si-non la plus grande partie, aux eaux vives et dormantes. On retrouve chez Audubon une description de la perche soleil dans Journaux et récits (t. II p. 1071) : «Sur son corps éblouissant, les reflets de l'or qui se mêlent au vert de l'émeraude, non moins que les teintes de corail qui le nuance en-dessous et le rouge étincelant de ses yeux en font, pour le regard enchanté, une véritable perle des eaux.» Thoreau s'inspirera de cette image éblouissante avec les perches de Walden pour porter la description esthétique à son point le plus haut. Ils semblent tous les deux d'accord sur cette idée, chaque élément naturel, comme un vulgaire poisson, est doué d'une force esthétique et onirique considérable capable de sublimer à elle-seule la beauté de la nature toute entière. Cependant, ils différent sur la nature même du pêcheur.

Pour Audubon qui a descendu l'Ohio de Pittsburg à La Nouvelle Orléans, remonté le Missouri de Saint-Louis à Fort Union, à travers les rapides, les hauts fonds, les inondations, rencontré loups, bisons, Indiens, la pêche n'est pas un loisir et encore moins une métaphysique. C'est une technique qui sert à se nourrir tout comme la chasse. Il écrit de longues descriptions sur les techniques de pêche, les appâts, les amorces et les lignes pour la perche blanche dans l'Ohio ou de la perche soleil de la Green River du Kentuky ou des eaux rougeâtres de Louisianne, il évoque alors « le pêcheur à la ligne classique ou scientifique » (on peut consulter par curiosité Thad. Norris, The American angler's book, embracing The natural history of sporting fish and the art of taking them, 1864, 632 pages, légèrement postérieur à Audubon et Thoreau mais qui résume bien les connaissances sur la pêche et les poissons pour l'époque). Malgré tout, il met en garde, ces poissons tout aussi modestes qu'ils paraissent n'en sont pas moins dignes d'intérêt et de respect. Précaution légitime de la part d'Audubon qui, au cours de ses récits et de ses études, s'inquiète de la raréfaction des bisons, des animaux à fourrure, des oiseaux victimes des armes à feu et de la cupidité des hommes, des Indiens victimes des guerres, de l'alcool et de la grande épidémie de variole. L'homme, comme les pêcheurs qu'il observe, ne sont que des prédateurs ingénieux, féroces et avides dont seule la jouissance immédiate importe.

Audubon sur la fin de son périple n'a plus d'illusion. Un monde disparaît. Un Paradis retrouvé semble avoir été perdu, à nouveau.
Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840), Ed. Finitude, 2012. 
« Il est là toute l'année, reflétant le ciel
- et de sa surface paraît s'élever une colonne d'éther,
qui forme dans l'espace un pont entre ciel et terre.
L'eau semble être un élément médian entre terre et ciel,
le plus fluide dans lequel l'homme puisse évoluer.
Depuis la surface de chaque lac monte une musique étouffée »,
Henry David Thoreau Journal, mercredi 2 décembre 1840.
 
Pour Audubon la responsabilité de l'homme dans le devenir du wilderness n'est pas une conception évidente, du moins dans ses premières années d'aventure. L'homme, en effet, semble être le jouet de forces qui surdéterminent son destin comme il peut l'être des éléments naturels et des cours d'eau en particulier. Le vendredi 10 mai 1819, sur une grande barque à fond plat, il observe et note : « La rencontre des deux cours d'eau m'évoque l'entrée dans la vie adulte d'un jeune homme innocent, lequel se trouve peu à peu confronté à des milliers de difficultés ; il lutte mais, progressivement submergé, il se perd dans le tourbillon de la vie. La belle eau de l'Ohio, lorsqu'elle se jette dans le Mississipi, est assimilée petit à petit tandis que l'oeil peut encore la suivre pendant un moment, car elle se détache du courant boueux . . . Là j'ai rencontré deux Indiens. . . Ils semblaient tellement libres et indépendants, détachés du reste du monde que je les considérais avec admiration et envie.» Etonné et quelque peu stupéfait, il observe les forces secrètes à l'oeuvre dans les courants fluviaux, leur complexité et l'inexorable parcours qu'ils poursuivent malgré les obstacles. L'homme n'y peut rien, impuissant et spectateur, pourtant les Indiens sont là, étrangement libres et mobiles au milieu des eaux dangereuses. Audubon prend également conscience que la liberté ne peut exister que dans une relation en harmonie avec les cours d'eau et leur environnement.

Thoreau va pousser plus loin cette idée. Dans son Journal, il note le 4 avril 1839 : « Quand par une journée suffocante, je me laisse dériver sur les eaux paresseuses de l'étang, je cesse presque de vivre et commence à être. . . Je ne me sens jamais aussi enclin à perdre mon identité. Je me dissous dans la brume. » En annulant la distance entre l'homme et le monde des eaux, il opère une identification qui s'apparente à un désir de dissolution pour unir l'être qu'il est au biotope qui l'entoure. Mais il ne se débarrasse pas pour autant de la nécessité de persister. Dans un autre passage, noté pour juillet-août 1840 il écrit : « Quand je flotte sur des eaux calmes, je suis moi aussi une planète, j'ai ma propre orbite dans l'espace et je ne suis plus un satellite de la terre. » L'homme peut ainsi s'affranchir de la gravité, il peut aussi ajuster un monde à sa mesure comme L'Homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci, et définir une centralité qui donnera toute sa place à l'homme. Ambition démesurée, exagérément anthropocentrique mais tempérée par une sensibilité pour ne pas dire une sensualité que Thoreau éprouve, à fleur de peau, quand il est dans la nature. L'homme dans les bois et peut-être plus certainement l'homme des eaux vives et des eaux dormantes est naturellement sensible.
Henry David Thoreau, Journal (22 octobre 1837-31 décembre 1840), Ed. Finitude, 2012.
 
Il est alors de ce Paradis perdu et retrouvé, si son poids se fait léger, si son empreinte se fait discrète, si son ombre se mêle à celle des arbres, des animaux et des poissons, si sa respiration est celle du vent, des courants aquatiques et des saisons.
 
« Nous devrions contempler le cycle des saisons
qui revient immanquablement, éternellement,
avec la même sérénité joyeuse qu'un enfant attendant l'arrivée de l'été.
Comme le printemps reprend vie après tant d'années divines,
nous devrions sortir pour admirer
et embellir à nouveau notre Eden, sans jamais nous lasser. »
Henry David Thoreau Journal, Le Paradis sur terre (6 janvier 1838).

 Chamane51, le 06/11/2012
 
Articles précédents :
Pêche et littérature, nature writing,
livres de pêche.

Laurent Madelon, Plaisirs de la pêche en montagne
René Hénoumont, Le jeune homme et la rivière
John Gierach, La-bas les truites...
Jacques-Etienne Bovard, La pêche à rôder
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche . . .
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands
Pierre Clostermann, Mémoire au bout d'un fil
Pierre Clostermann, Spartacus, l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur
Henry D. Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Maurice Toesca, Rêveries d'un pêcheur solitaire.
Cormark McCarthy, La route
William G.Tapply, Casco Bay, Dark Tiger
Histoire d'ombres, Hervé Jaouen
Les pieds dans l'eau, René Fallet
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été
Les Ardennes à fleur d'eau, Terres ardennaises
La mouche et le Tao, Philippe Nicolas
Brève histoire de pêche à la mouche de Paulus Hochgatterer
Un bon jour pour mourir de Jim Harrison
La femme truite de Vincent Lalu
La grande rivière au coeur double, Ernest Hemingway
L'enfant et la rivière d'Henri Bosco
L'enchantement de la rivière de Philippe Nicolas
Le Traité du zen et de l'art de la pêche à la mouche de John Gierach
Partie de pêche au Yemen de Paul Torday
Le Testament d'un pêcheur à la mouche de John D. Voelker

Tags : Henry D. Thoreau, John James Audubon, Perche, Wilderness, Nature writing, Jardin d'Eden, Paradis perdu, Journal
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#Posté le mardi 06 novembre 2012 04:37

Modifié le dimanche 25 novembre 2012 02:01

John Gierach, Là-bas les truites. . ., Ed. Gallmeister, 2012


John Gierach, Là-bas les truites. . ., Ed. Gallmeister, 2012
 Là-bas, les truites..., John Gierach
 
 
Un livre de Gierach publié, c'est comme si votre anniversaire arrivait avant l'heure ! C'est à coup sûr une bonne idée pleine de promesses. Les éditions Gallmeiter nous avaient déjà offert la traduction de deux ouvrages de Gierach qui ne sont pas passés inaperçus dans le petit monde de la pêche et de la littérature et du nature writing. Voici-donc le troisième avec Là-bas, les truites...
 
« Que la forêt et la rivière étaient vraies,
de plus en plus vraies à mesure que vous vous éloignez de votre maison », 
John Gierach, Là-bas, les truites...
 
En neuf récits, John Gierach évoque ses coins secrets, ses petits Eldorados de pêche dans lesquels les truites ne sont ni farouches ni petites. À cinq ans déjà, il s'enfonce avec ses copains dans la forêt, comme des Indiens précise-t-il, pour rejoindre la rivière dont on dit que plus loin en aval les poissons chats sont plus gros. Premier apprentissage de la nature et de la transgression des règles. Et pourtant, Nick Adam, le jeune héros d'Hemingway, si ce n'est Hemingway lui-même, dans Les forêts du Nord, fait ses premiers apprentissages de la nature près d'une rivière dans les bois, mais lui n'en menait pas large. À croire que pour pêcher, il faut oser partir loin, maîtriser la crainte qu'inspire l'inconnu, s'éloigner et délaisser les hommes (et les femmes aussi), les oublier, du moins ceux qui ne pêchent pas, pour se consacrer tout entier à la pêche. Un coin secret, ça vaut quand même sacrément le coup. Certain d'y être seul en tête à tête avec les truites, de quoi oublier le monde comme il est :  « la nature était là ; elle était vaste ; elle était constante » écrit Gierach.
 
 Le coin secret est un morceau de Paradis personnel, en dehors des cartes légendées et des lieux-dits, des courbes de niveaux et de la boussole. Hemingway (toujours et encore) s'en fabriquait en rêve « ... et j'imagine que j'y pêche et les confonds avec les ruisseaux que je connais réellement... » écrit-il dans Je vous salue Marie. Le coin secret est d'abord un coin rêvé puis pêché en vrai ensuite. Il est en dehors du temps, de l'échelle du temps rythmé par le chronomètre et les indices boursiers qui ne dorment jamais. Gierach insiste « Les pêcheurs, voyez-vous, n'ont que deux repères temporels : maintenant et jamais. », ce qui fait que le pêcheur est davantage connecté avec l'endroit où il pêche qu'avec le monde comme il va (son envers). Nick Lyons, autre célèbre écrivain-pêcheur nord-américain ( également auteur d'un The Gigantic book of fishing stories de 793 pages ) confesse qu'au fur et à mesure de sa partie de pêche il parvenait à entrer en concordance avec le tempo du poisson avec lequel il pêchait (dans Confessions of Fly Fishing Addict) ; il va même plus loin dans une saison de pêche à Spring Creek où, au bout de deux semaines de pêche, il perd progressivement la notion du temps et qu'au bout de quatre semaines seuls comptent la faim, la soif, la pluie ou le vent, des impressions élémentaires induites par le milieu et qui dictent une conduite propre au milieu.
 
« Là-bas les truites...
sont toutes grandes comme ta jambe. »,
John Gierach, Là-bas, les truites...
 
Les coins secrets rendent les pêcheurs... secrets : « cache ton pick-up pendant que tu pêches, et ferme-là ensuite. N'hésite pas à mentir si besoin, même si cela doit t'interdire de frimer » écrit Gierach. Évidemment, le type qui tient son petit Eldorado de pêche doit être un peu nerveux lorsqu'il sort du bois et c'est peut-être à cela qu'on le reconnaît, à moins qu'il soit étonnamment zen et on le reconnaîtra tout autant. Une attitude sociale que Gierach avait résumée dans un précédant ouvrage Trout bum (traduit en français par Le Traité du Zen et de l'art de la pêche à la mouche, Editions Gallmeister, 2009), attitude qu'il précise ici comme étant celle d'un ermite vagabond autarcique, sans réel itinéraire, parlant peu et uniquement par phrases courtes. Un style de vie que l'on devine aisément. La pêche à la mouche serait alors une culture alternative faite d'addiction à une pratique et à un milieu, une sorte de rébellion face à une société de consommation dont le temps se mesure en unité de valeur et en prédation écologique. C'est ici que l'auteur est rattrapé par l'envers du décor. Les coins secrets deviennent plus rares, plus inaccessibles. Les températures augmentent, les précipitations sont modifiées par le réchauffement climatique. Angoissante problématique que Gierach n'évacue pas. Il en appelle plusieurs fois à Henry David Thoreau (toujours en encore), auteur américain du milieu du XIXe siècle qui revêt aux États-Unis une importance fondatrice pour sa vision esthétique et écologique de la nature, notamment dans Walden (publié il y a peu par les éditions Le mot et le reste et préfacé par Jim Harrison). Il passe un an en ermite dans une cabane au bord d'un lac perdu dans les bois. Sur le ton d'une méditation, Gierach continue Thoreau, car la pêche à la mouche est aussi une construction d'une éthique de l'environnement.
 
En ce sens, Là-bas, les truites... n'est pas seulement un livre jubilatoire sur la pêche, c'est aussi un plaidoyer politique pour l'environnement, pour la permanence de ses coins secrets, oasis écologiques, derniers reflets du Paradis perdu ou d'un âge d'or dont on garde, pour quelques temps encore, le souvenir. Thoreau (une dernière fois) l'évoque déjà en son temps avec nostalgie dans A week on the Concord and Merrimack rivers. Il aperçoit, en effet, au cours d'une descente en canoë un vieux pêcheur entrer dans une cabane à peine dissimulée par le feuillage des arbres, avec à la main quelques poissons : « Je crois que nul autre que moi ne le voyait ou ne se souvient de lui, car il mourut peu après... Pêcher pour lui n'était pas une sorte de sport ou juste un moyen de se nourrir. C'était plutôt un genre de couronnement majestueux, à l'écart du monde, à l'image des anciens lisant leur Bible. »
 
En dehors des cartes, en dehors du temps, ces Eldorados de la pêche, derniers reflets du Paradis perdu, oasis écologiques ou âge d'or presque révolu, les coins secrets révèlent notre présence au monde des eaux vives et des eaux dormantes. Avec ces 88 pages de douce nostalgie souvent souriante John Gierach sait être rêveur, alors rêvons avec lui !
 
« Les coins secrets sont l'âme de la pêche »,
John Gierach, Là-bas, les truites...
 
Chamane51, le 07/09/2012
(Article publié dans Légendes de pêche
et Le monde de la truite)
http://www.lemondedelatruite.com/
John Gierach, Là-bas les truites. . ., Ed. Gallmeister, 2012

legendesdepeche.blogspot.fr
John Gierach, Là-bas les truites. . ., Ed. Gallmeister, 2012
 













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Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été
Les Ardennes à fleur d'eau, Terres ardennaises
La mouche et le Tao, Philippe Nicolas
Brève histoire de pêche à la mouche de Paulus Hochgatterer
Un bon jour pour mourir de Jim Harrison
La femme truite de Vincent Lalu
La grande rivière au coeur double, Ernest Hemingway
L'enfant et la rivière d'Henri Bosco
L'enchantement de la rivière de Philippe Nicolas
Le Traité du zen et de l'art de la pêche à la mouche de John Gierach
Partie de pêche au Yemen de Paul Torday
Le Testament d'un pêcheur à la mouche de John D. Voelker
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#Posté le jeudi 30 août 2012 02:47

Modifié le mercredi 19 décembre 2012 05:07

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches, Flammarion, 1922

Maurice Genevoix, Rémi des Rauches, Flammarion, 1922Maurice Genevoix, Rémi des Rauches, Flammarion, 1922
 
 
Maurice Genevoix est un survivant de la Grande boucherie de 1914-1918, et trouve dans l'écriture et en particulier dans celle de Rémi des Rauches, la respiration nécessaire pour cicatriser ses blessures à l'instar d'un Ernest Hemingway, lui-même gravement blessé dans ce conflit et qui écrivit une magnifique nouvelle, La grande rivière au c½ur double, dans laquelle la pêche et la rivière sont tout autant réparatrices et salvatrices que la Loire de Genevoix. Que reste-t-il aujourd'hui de Rémi des Rauches ? Moins connu que La boîte à pêche, Rémi des Rauches fut considéré comme un roman d'apprentissage ou d'initiation puis comme un roman régionaliste, oublié sur les étagères poussiéreuses des bibliothèques municipales.
 
 Si Genevoix écrivait aujourd'hui, son livre serait édité dans une collection Nature Writing aux côtés de Geriach ou d'un John D. Voelker, on évoquerait son livre dans les magazines littéraires et même dans les magazines de pêche et pourquoi pas à la télévision à des heures pas trop tardives. Comme La boîte à pêche, il faut lire Rémi des Rauches. Il faut le lire parce que Genevoix y donne une aspiration, un souffle vital qui est celui de la nécessité de l'eau vive et de la pêche. La Loire y apporte sa force et sa séduction irrésistibles, la pêche y est une activité naturelle comme la respiration, le rêve ou les passions.
 
« Le pays où je vous mène est peut-être de par ici,
mais il est d'un autre règne »,
M. Genevoix, La forêt perdue.
 
Rémi des Rauches, le héros, est un familier des berges de la Loire, en un temps où le fleuve était sauvage et indompté. Ses crues n'avaient que faire des berges maçonnées, les barrages étaient de paille, et les maisons comme des sucres dans le liquide. Jadis, dans cette Loire, les saumons, les aloses remontaient — comme depuis toujours — vers leurs frayères. Les carpes et les brochets reposaient dans les noues à l'ombre des bachots à fonds plat. Un temps béni ? Oui, un temps béni où « les envolées du clocher, les tintements de l'angélus passèrent en se poursuivant au loin » par-dessus le fleuve, ses plages de graviers, ses hautes herbes. Nous sommes à... et la Loire n'a pas encore un goût de mer. Elle déroule son long parchemin et dit la France, celle qui s'éternise à mourir sous nos yeux.
 
Rémi est un rêveur contemplatif, le regard aspiré par le grand fleuve non loin de la cabane du père Jude, vieillard chenu à peine protégé par un abri fait de terre et de végétal. C'est une sorte de troglodyte solitaire retiré du monde pour mieux se consacrer au fleuve. Genevoix lui fait dire : « Maintes fois, j'ai cru voir l'image d'un visage de femme, sourire le visage de la Loire. J'ai rêvé dans un bloc de marbre blond, de hanches souples et de seins aux belles courbes », plus loin il ajoute «  ... et la Loire prend mes yeux ; et je lui dis seulement tout au fond de mon c½ur “Sois la Loire” ». Douce rêverie donc, La Loire souple, sinueuse dans ses bras, ondoyante dans son lit même, invite à une sensualité envoutante à laquelle l'ermite semble s'être voué. Le père Jude ressemble aussi à ce vieillard qu'Henri D. Thoreau (que Genevoix connaissait bien) a aperçu en descendant la Merrimack River, mais le père Jude n'est pas de ces vieillards vivant au bord de l'eau un ermitage biblique qui les rapproche de Dieu. Le père Jude est un déclassé, un réprouvé pour son aspiration trop grande à la liberté. On pense à Elisée Reclus et son Histoire d'un ruisseau, à Courbet et ses Truites de la Loue, tableaux sur lesquels il inscrivit l'épitaphe « Sainte-Pélagie » (prison où il fut enfermé) ou in vinculis faciebat (« fait dans les liens »). Tous les deux étaient Communards, il faut maintenant leur ajouter le père Jude qui était fouriériste.
 
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches, Flammarion, 1922Le fleuve, la rivière, sont alors les derniers espaces de liberté, les derniers lieux dans lesquels une vie simple et digne peut s'accomplir loin de la macération des hommes et de leurs turpitudes politiques et sociales. La cabane du père Jude est trop loin des villes et de ses maisons agglomérées, elle ne souffre pas du cadastre de l'arpenteur et du cordeau de l'ingénieur des Ponts et Chaussées. On croit voir, en vrai, le pêcheur Justin Buvat — dont nous parle Genevoix au chapitre Mystique de La boîte à pêche — un vieillard maigre, le visage osseux et parcheminé, des yeux d'eau pour l'avoir trop longtemps surveillé. Lui aussi vit dans une cabane appuyée sur une berge de la Loire, de laquelle, lorsqu'il s'endort, il peut entendre les murmures chantonnés par le fleuve et même « les poissons qui sautent à la lune ». Celui-ci semble connaître enfin une certaine félicité, La boîte à pêche ayant été écrite en 1926, huit ans après la fin du premier conflit mondial.
 
« Que dirais-tu, maintenant, d'une heure de pêche au bord de l'eau ?
 Délasse-toi, tu l'as bien gagné 
-Vrai ? dit-il. Oh ! Tu es gentille ... »,
Conversation entre Rémi et Bertille
 (M. Genevoix in Rémi des Rauches).
           
Bertille, la femme de Rémi, paraît avenante sous sa blouse, du moins assez pour avoir été courtisée jusqu'au mariage. Cependant, elle n'en demeure pas moins comptable de ses sentiments, économe en amour comme pingre en argent et reproche à Rémi d'aller à la pêche : « Combien de fois es-tu allé à la pêche ce mois-ci ? Tu n'en sais rien ? Moi, je le sais : tu y es allé dix-sept fois ; et davantage le mois d'avant ; et tous les jours de juin qui ont suivi l'ouverture... » Rémi ne s'étonnera pas lorsque Bertille se montre amène avec lui et se sert de la pêche comme un appât ou un leurre pour l'éloigner de la maison, de ses manigances et de sa tromperie. La pêche aussi peut servir à cela. Rémi ne vit que par la Loire ce qui fait sa naïveté. Il la parcourt avec sa canne à qui il a donné un nom comme les chevaliers à leur épée. Rémi est plus modeste, il pêche le chevesne à la surprise avec sa « Mort-à-pêche » en rodant le long du fleuve caché par les hautes herbes. Il attrape les goujons et débusque des poissons plus gros, assez pour garnir une belle assiette. Le vin de Loire est léger, chantant dans la gorge, il égaye la chair des poissons. Rémi et ses compagnons de pêche le boivent la bouche goulument colée au goulot d'une dame-jeanne : « elle aime bien qu'on lui tire les oreilles, c'est du p'tit lait qui n'a pas de venin ». À cette époque, dans chaque paysan se cachait un pêcheur et parfois même un braconnier prompt à la rapine à la manière d'un Raboliot dont les yeux furètent partout lorsqu'il vide les étangs. Mais Rémi est moins malin et se meurt à la ville où Bertille l'a entrainé et l'a même enfermé. La Loire se meurt aussi avec lui : « Elle était sans mystère aujourd'hui ; bleue simplement, du même bleu léger que le ciel ». Le renoncement est proche et pourtant Rémi comprenant la duperie et la trahison de Bertille retourne à la Loire qui se remet à vivre, à murmurer et à jeter à ses yeux des éclats de couleurs : « Il l'écouta murmurante, froncée de moires fugaces et bleues », « Loire chérie... », disait-il.
 
Ici, il faudrait s'arrêter, faire une pause et respirer longuement, se dire que le temps devrait égrener ses minutes comme un métronome finissant. Il nous faudrait être sur les bords de la Loire, assis sur le talus de la berge, immobile de patience et de contemplation. Se faire vivant dans le roman de Genevoix. Imaginez Rémi, résolu maintenant, se dévêtir et se couler dans l'onde du fleuve « Tout près au bord du remous, l'eau vive tournoyait, clapotante. Il flottait, le poing lié aux rauches, avec l'abandon d'une algue. Il était bien ». À ce moment, Rémi se retrouve, guéri, par le miracle de l'eau vivante de la Loire, « Te voilà donc... Te voilà toujours, Rémi des Rauches ».
 
Vingt après la mort du père Jude, Rémi des Rauches s'en retourne vers son compagnon, son maître, son père avec à la main sa « Mort-à-pêche » et en bandoulière une boîte en châtaignier pleine de chevesnes pêchés et posés sur un lit d'herbes. Il ne reste que la cabane dans laquelle, avec la nuit commençante, il entra. La cabane du père Jude est sienne maintenant scellant ainsi — grâce à la Loire — une fraternité posthume, une fraternité d'hommes, une fraternité de pêcheurs.
 
«  À l'Internationale des pêcheurs à la ligne »,
M. Genevoix
(envoi de La boîte à pêche).
 
Chamane51 le 06/12/2011
(Article édité dans Le monde de la truite)
Articles précédents :
 
J. de Lespinay, Si vous prenez la mouche . . .
Sophie Massalovitch, Le goût de la pêche
Serge Sautreau, Le rêve de la pêche
Sean Nixon, Les Nuits du Connemara
Pierre Clostermann, La prière du pêcheur
Pierre Clostermann, Des poissons si grands
Pierre Clostermann, Mémoire au bout d'un fil
Pierre Clostermann, Spartacus, l'espadon
Maurice Genevoix, Tendre bestiaire
Maurice Genevoix, Rémi des Rauches
Jim Harrison, Gary Snyder, Aristocrates sauvages
Pierre Perret, Les poissons et moi
John Gierach, Même les truites ont du vague à l'âme
Pierre Affre, La vie rêvée du pêcheur
Jean-Pierre Comby, Rêves de pêcheur
Henry D. Thoreau, Walden, préface de Jim Harrison
Bartolomé Bennassar, Les rivières de ma vie, Maurice Toesca, Rêveries d'un pêcheur solitaire.
Cormark McCarthy, La route
William G.Tapply, Casco Bay, Dark Tiger
Histoire d'ombres, Hervé Jaouen
Les pieds dans l'eau, René Fallet
Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau
Justin Cronin, Quand revient l'été
Les Ardennes à fleur d'eau, Terres ardennaises
La mouche et le Tao, Philippe Nicolas
Brève histoire de pêche à la mouche de Paulus Hochgatterer
Un bon jour pour mourir de Jim Harrison
La femme truite de Vincent Lalu
La grande rivière au coeur double, Ernest Hemingway
L'enfant et la rivière d'Henri Bosco
L'enchantement de la rivière de Philippe Nicolas
Le Traité du zen et de l'art de la pêche à la mouche de John Gierach
Partie de pêche au Yemen de Paul Torday
Le Testament d'un pêcheur à la mouche de John D. Voelker

Tags : Rémi des Rauches, Maurice Genevoix, Hemingway, La grande rivière au c½ur double, La boîte à pêche, Saumon, Alose, Carpe, Brochet, La Loire, Henry D. Thoreau, Merrimack River, Elisée Reclus, Histoire d'un ruisseau, Courbet, Nature writing
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#Posté le dimanche 04 décembre 2011 10:23

Modifié le lundi 29 octobre 2012 13:14

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